Cuba Baila y bien
22.5.06
  La chronique de Dan : part 3

Dan caressait l'épaule de Yanely. Elle s'était lové contre lui et ne se fâchait pas des soubresauts de la voiture. Au contraire, elle en profitait pour se coller encore plus à lui tant et si bien que la cuisse de Dan touchait maintenant celle de Yanely sur toute sa longueur. Il adorait cette sensation et malgré la chaleur, malgré la sueur qui collait son pantalon sur la surface en contact avec elle, il n'avait pas la moindre intention de rompre le lien.
- Un attouchement érotique est bien plus excitant que l'acte sexuel lui-même, pensa t-il sans rien en laisser paraître. Çà me rappelle quelques séances de frotti-frotta non préméditées dans les rames du métro parisien avec des victimes femelles, parfois consentantes, parfois non ! »
- ¿ Yanely, que me cuentas ?[1], demanda Dan.
- Nada nuevo, tu sabes como esta la cosa aqui…[2]!.
Ils échangèrent quelques banalités un moment encore, puis Dan se décida à lui poser la question qui lui tenait à cœur.
- Comment s'est passé ton voyage en Norvège ?
Cette question le faisait s'aventurer en terrain glissant, il redoutait la réponse autant qu'il rechignait à poser la question.
Il savait pertinemment ce qu'elle avait été faire là-bas. Cette fois, comme au moins une demi-douzaine d'autres, elle rendait visite à un «ami». Le terme ami est probablement impropre d'ailleurs, en l'occurrence le mot consacré est plutôt « novio » dans son acception cubaine.
Dan savait bien qu'à Cuba le terme est employer à tort et à travers au point qu'il tendait à se vider de son sens originel. Si au hasard d'une rencontre un couple mixte se forme - mais le hasard existe t-il à Cuba en la matière ? - ne serait-ce que l'espace de cinq minutes, les partenaires se voient immédiatement baptisés novios[3].
- Ils n'attendent pas longtemps pour mettre leurs rêves à l'épreuve de la réalité, se dit Dan.
Quoi qu'il en soit, le Norvégien de Yanely n'était rien d'autre pour Dan qu'un sérieux candidat. Il utilisait à dessein ce terme car parler de « rival » l'insupportait au plus haut point. Pour lui, ce type demeurait un candidat, rien d'autre qu'un candidat… tout juste bon à la faire sortir de cette mélasse cubaine et au pays de la cane à sucre, le terme est approprié. Il l'avouait bien volontiers, il était jaloux de ce type, mais il n'en faisait pas une maladie. Bien que vivant l'essentiel de leur vie, chacun de leur côté - mais le cœur côte à côte - peut être l'avenir finirait-il par les réunir pour de bon, qui sait? En tout cas, Dan était loin d'en rejeter l'idée, bien au contraire...
Notre taxi s'approchait de la vieille ville rivé à la file de droite. Il doubla successivement, une Buick puis une imposante Chrysler années 50, improbable rescapées de la révolution de 1959. Bien que défraîchis par les rigueurs d'un demi-siècle d'embruns du malecon[4], l'antique véhicule arborait les chromes de son capot comme des galons de vétéran.
On traverse la Habana vieja comme un décor de cinéma, un décor en dur, immense, au sein duquel on aspire à se perdre. Le dédale de ces lieux étranges dessinent un Disneyworld d'avant guerre…une guerre nucléaire ? Ou bien une catastrophe climatique, ou une guerre lente, chimique, qui après avoir rongé tout ce que ces vieilles bâtisses comptaient de pièces de bois et de peinture poursuivait sa lente corrosion, ne rechignant pas à s'attaquer à la maçonnerie et jusqu'aux antiques tomettes patinées recouvrant le sol.
Pourtant, qui parle de façades délabrées ? Sûrement pas ces artistes à la palette jalouse qui seraient bien en peine de décliner de si jolies aquarelles…tout en nuances d'ocres et de bleus. Décidément, Dan exécrait les ravalements[5] neufs qui viennent dépareiller, par leur clinquant agressif et kitsch, l'harmonie colorée des alignements séculaires…Bien qu'il ne s'agisse là que d'un retour aux sources, ces bleus ciels, ces vieux roses et tous ces ocres étaient là au commencement du malecón, mais il s'était maintenant bien trop habitué à cette couleur terreuse et uniforme pour accepter si facilement le retour aux teintes d'origines.
Souvent flanquées de quelques solides colonnades, rondes ou rectangulaires les façades décrépites des bâtisses coloniales n'en finissent pas de résister aux assauts des embruns et …aux forces de la gravité. Il se rappelait avoir lu quelque part qu'Alejo Carpentier parlait de «la ville des colonnes, qui sauvent ce qu'elles peuvent du soleil et de la pluie…».
Plein soleil sur les façades, les fenêtres se doivent d'être ouvertes, car ici l'indiscrétion a valeur de dogme. On pourrait y déceler un moyen de fuir claustrophobie et promiscuité, on y trouvera à coup sûr une pointe d'exhibitionnisme…
- On sent bien la vie trépider à l'intérieur; elle est là, oui, bien là… se disait Dan à lui-même. Partout alentour, on perçoit une énergie incroyable qui s'échappe de ces vieilles baraques déglinguées, jamais fermées, qui laissent s'écouler l'essence même de la vie locale, sans résistance, tantôt sous la forme de groupe de gamins piaillant et gesticulant, tantôt par des éclats de voix de femmes hautes en couleurs se disputant le dernier mot…
Qui se sera laissé conduire par un jinetero[6] bien inspiré, derrière les parties visibles, à l'abri des regards et du soleil, quelques patios séculaires dispensent sans mollir une fraîcheur indéfectible.
Dan gardait longtemps imprimé en lui cette sensation de bien-être, après son retour en France et également lors de ses déplacements au Venezuela, en Colombie (les pays cousins de Cuba). Peut importait le lieu, cette petite flamme en veilleuse dans un coin de sa tête lui rendait tout à fait supportable la vie trépidante de son bureau parisien ou new-yorkais.
- La Havane, c'est vraiment mon trip, pensait-il. Parmi les villes d'Amérique Latine qu'il avait fréquenté, aucune autre cité ne lui avait fait aussi forte impression. A part, peut-être, Managua dans le Nicaragua de l'ère communiste…Il y flottait à l'époque les mêmes relents de fin de règne …
Pourtant, rétrospectivement, il se rendait compte qu'il n'avait rien compris à l'intrigue de ce film, à l'intrigue tellement réaliste qu'elle semblait projetée en extérieur. Dan en était convaincu : « aucun de tous ces touristes qui fréquente cette ville pour la première fois n'aurait été plus malin». Cuba, La Havane, le « parque central », la calle Obispo avec au coin, un des bars d'Hemingway «le Floridita »…il était tombé là en plein tournage, comme un visiteur égaré dans les arcanes des studios Universal…
- Je ne sais pas qui s'est chargé du casting, mais en tout cas, chapeau…
Dan se référait en cela à tous ces couples métissés qui se font et se défont en permanence et qui participe à métamorphoser un quotidien de labeur immuable en une quête d'amour vibrionnante et exaltante.
- Des couples Franco-cubains, italo-cubain, germano-cubain que sais-je encore…Une fois les scènes d'amours tournées, les amants d'un soir ne rentrent pas toujours dans leur loge respective…pensait Dan, moqueur. C'est bien le drame de nombre de ces cœurs à prendre, la plupart venus d'outre-atlantique. Bien heureux ces imbéciles qui souvent, sans en avoir conscience, sont complètement désarmés devant l'infaillible séduction de ces belles mulâtresses. Des corps de rêve assortis d'une démarche ondulante à donner le tournis. Même phénomène du côté des femmes à la peau blanche de tous horizons au regard chaviré et sous l'irrésistible emprise de leur apollon d'ébène. Quel talent ceux-là! Quel sens du tempo….leurs muscles saillent à travers leur tee-shirt, l'air de rien, juste au bon moment…

Dan avait un moment pensé qu'il pourrait se contenter sans trop de mal de son niveau en espagnol tout juste passable qu'il enrichissait peu à peu au fil de ses déplacements. Pourtant, il n'avait pas tardé à déchanter.
- Il est vraiment impossible cet accent cubain… surtout celui de l'oriente[7], des «palestinos… » comme ils aiment à s'invectiver entre eux, se lamentait-il chaque fois que Leydi entamait une conversation. A croire qu'ils viennent tous de Santiago, du moins ceux qui traînent ici, dans cette zone qui s'étend du «parque central» jusqu'à la « catedral ». Ils omettent les « r » de certains mots. Ou les remplace par des « l ». Pour dire « j'arrive » ; voy para allá se transforme en voy pa' 'llá. Le mot « conducteur », classiquement prononcé « conductor » avec un roulement de « r » à la fin, devient « conductol »…
[1] - Qu'est-ce que tu racontes?

[2] - Rien de nouveau, tu sais comment c'est ici!
[3] Fiancé, en espagnol.
[4] Signifie « jetée », mais s’applique plus largement à la célèbre route en bord de mer de la Havane
[5] La réfection a été commanditée par l’UNESCO.
[6] Accompagnateur professionnel.
[7] Région orientale de l'île (province de Guantanamo).
 
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